L’architecture, le temps et le lavoir :
Il existe encore dans de nombreuses communes un élément patrimonial discret qui pourtant remplissait plusieurs fonctions essentielles de la vie des communautés, à la fois comme lieu rassembleur, comme dispositif sanitaire essentiel, comme point de repères dans la commune, comme mode d’organisation sociale : Le lavoir.
Après les grandes découvertes médicales du 19e, une vague de constructions de lavoirs toucha toutes les communes de France. Le terme lavoir est en réalité inadapté à sa fonction première car il s’agissait uniquement d’y rincer le linge, qui avait été préalablement lavé à la maison dans de grandes bassines. Là, dans l’eau claire du lavoir, chaque pièce de linge était rincée, battue, et rincée encore puis essorée et ramenée à la maison pour le séchage…
Avec l’invention du savon, on aménagea alors les lavoirs publics afin qu’ils ne servent pas seulement au seul rinçage. Le fond du bassin fut dallé, les côtés furent parfois dotés de banquettes pour y déposer le linge, le sol du pourtour cimenté. Le rôle social du lavoir devient plus important. Il est d’ailleurs probable que les premières prises de conscience des injustices engendrées par la difficile condition féminine de l’époque s’y soient développées. La littérature puis le cinéma se sont emparés de cette question.
Souvent constitué par un bassin minéral, abrité sous une charpente bois ou métal ouvragée, portant une couverture en tuiles, aujourd’hui inutilisés, et plus que tout autre dispositif architectural, par sa proximité avec l’eau claire, le lavoir rassemble en lui-même plusieurs dimensions poétiques : Pour ceux qui sont encore conservés ou rénovés, le calme qu’on y trouve, le bruit de l’eau, le retrait des activités journalières, le rapprochement avec la rive, tout évoque la possibilité romantique d’un passage du bord d’un monde à un autre…
L’observation de l’écoulement de l’eau à proximité du lavoir, objet architectural statique, provoque immanquablement la sensation de l’écoulement du temps. Pour Héraclite, cette conscience du temps qui passe provient du fait que « l’on ne se baigne jamais deux fois dans la même eau … ». Paradoxalement le ressenti du temps qui s’écoule depuis le socle ferme d’un lavoir s’avançant comme un belvédère au-dessus de l’eau augmente la sensation de la maitrise du temps.
L’architecture du lavoir, comme dispositif architectural générique, sublime le passage du temps en élevant la condition humaine par une fusion poétique avec les éléments naturels qui l’entourent, réalisant en cela le but déclaré de l’architecture.
Observation depuis le bord du monde, sentiment de protection de l’architecture du lavoir, proximité sensuelle avec les éléments naturels de l’eau et des parties structurelles souvent en bois des lavoirs couverts, moment d’immobilité dans le mouvement général du temps, poésie des paysages choisis ; L’architecture modeste du lavoir peut se vanter de donner naissance à la conscience de la condition fragile de l’humanité et de la place fondamentale de l’architecture quand la nature est envisagée comme indissociable du vivant humanisé.
Pendant vos vacances, la MA74 vous engage à prendre pied sur la rive du temps, à l’abri d’un lavoir, pour oublier le bruit du monde avant de revenir l’habiter en poésie.
Bonnes vacances, revenez nous nombreux…
José VILLOT, Président de la MA74