La vie intérieure et L’architecture :
Evoquer l’Architecture consiste généralement à offrir au regard un bâtiment à l’aide de prises de vues choisies ; bâtiment dont la structure, la distribution des éléments porteurs, la forme de l’enveloppe globale, la qualité des matières, le rythme des ouvertures, etc. toutes parties qui, considérés ensemble définissent le concept d’identité du bâtiment surgissant à l’issue de cette synthèse réalisée par le sens privilégié de l’époque, la vue.
Cette particularité de chaque bâtiment ainsi obtenue en esprit, son identité, s’inscrit dans deux grands principes contradictoires qui expriment la tonalité du bâtiment, principes qui peuvent se résumer par : apparaître ou bien s’effacer, avec toutes leurs déclinaisons croisées.
C’est le lieu, considéré principalement par son extériorité, qui oppose ces deux attitudes : il demande sa part dans la construction du concept d’identité : On parle alors de révélateur du lieu, ou d’esprit du lieu, d’inscription dans un lieu, ou bien de création d’un lieu, de fabrication d’un biotope, de passage du lieu vers un milieu, etc.
L’architecture, cette mise au monde qui se rapproche de l’art de la sculpture, ou plus encore de la maïeutique, délivre un corps construit, ciselé, découpé, taillé, mesuré, creusé, bombé, etc… que l’on associe alors dans son rapport à quelque chose qui lui est extérieur ; C’est le site, le paysage, l’histoire, l’espace placentaire, le liquide amniotique duquel émerge le nouveau projet qui s’élance devant le soleil. On dit alors que l’architecture c’est le volume sous la lumière.
Cependant comme pris au centre d’une mécanique complexe faite de parois, de murs, d’ouvertures vitrées, de portes coulissantes, et naissant au monde depuis un plan perspectif central, il existe une cellule germinale, un coeur battant, qui ne se montre pas mais qui donne sens à l’architecture, en apportant à l’humanité ce qui lui est absolument nécessaire : la vie intérieure.
Un peintre exceptionnel par le talent, J VEERMEER de Delft, a réussi ce tour de force unique dans l’histoire de la peinture de sublimer cette vie intérieure avec une grande modestie de moyens. Sans effet de style particulier pour son époque, usant d’un stratagème de perspective à multiples focales, travaillant comme un vidéaste en lent travelling, le peintre a fixé sur la toile une architecture faite de couleurs, de matières et de lumière. A la différence de ses contemporains, aucun des personnages qu’il a peint dans des tableaux de petite dimension ne sont en représentation ni même en présentation d’eux-mêmes. Ils semblent surpris dans les espaces intérieurs qu’ils occupent à ces instants, ils sont comme saisis dans leur vie quotidienne.
Bien que leur personnalité semble s’effacer, leurs gestes sont figés par cet élément majeur en architecture qu’est la lumière. Provenant d’une baie positionnée latéralement, celle-ci surprend les personnages en venant les effleurer, s’épanouissant de façon diffuse sur les corps pour transformer chaque être en objet précieux.
Les personnages peints sont en majorité des femmes, captées dans des actions banales : Une lit une lettre, une autre joue d’un instrument de musique, une autre cuisine, l’une d’entre elles échange des courtoisies en compagnie d’un gentilhomme, une autre s’assoupit à une table. Mais le silence enchanté qui les entoure fait surgir immédiatement sous nos yeux la puissance vitale d’où nait la vie intérieure.
Alors, sous nos yeux, ces tableaux surgis d’un autre siècle nous invitent à comprendre autrement l’architecture : Elle est devenue ce dispositif construit qui élève chaque subjectivité, tandis que l’extérieur, les bâtiments, la ville, etc. restent en suspens depuis ce point central, pour devenir l’autre, pour renvoyer à une autre subjectivité.
A ce moment, l’architecture devient essentiellement ce qu’elle est visiblement, l’espace qui nous construit les uns pour les autres, la chambre noire de nos possibilités infinies.
José VILLOT, Président de la MA74