Architecture et responsabilité :
« Nous sommes en effet les seuls à penser qu'un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer non point pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile… » La Guerre du Péloponnèse, P155. Thucydide. Ecrits d'architectes :
– A bien des égards, la société se transforme donc effectivement. Et si demain elle demandait aux mondes de l'architecture et de l'urbanisme des réalisations radicalement plus écologiques et frugales, qu'en serait-il ? Serions-nous prêts à la suivre, ou devrions-nous répondre honteusement que, jusqu'ici, ce n'est pas ce qu'on nous demandait de faire, et que donc nous ne savons pas faire autrement ? MATHIAS ROLLOT. architecte, docteur en architecture, enseignant-chercheur. – « Cher David, tu m'as demandé ce que les architectes devaient faire en réponse à l'inéluctable et immense catastrophe environnementale. En réponse aux inégalités sociales. A la pauvreté. A la destruction des ressources planétaire. A la pandémie […]. Cher David, la réponse est : rien » JACQUES HERZOG architecte suisse, agence Herzog et de Meuron, à DAVID CHIPPERFIELD, architecte britannique.
– « Sans sa capacité à transformer le monde, l'architecture apparaît comme manipulation formelle gratuite, luxe pour passer l'ennui » MATHIAS ROLLOT.
– « -Connais-tu un seul moment de l'histoire de l'architecture où un architecte aurait contribué aux problématiques décisives de son époque ? ». J.H.
– Enseigner l'alternative est aussi un impératif de précaution : nous nous devons d'être pluriels, à la fois en décalage et en avance sur la société, pour pouvoir être réactifs aux potentielles transformations écologiques du monde. M.R
– « C'est un voeu pieux de croire que les paroles d'un architecte – comme celles d'un prophète – sont plus fortes que d'imposants murs de pierre. » J.H.
– Nous pouvons, nous devons opposer l'architecture comme un outil – de lutte, de résistance, de recherche –, seul moyen de rendre à l'architecture ses responsabilités envers autrui. M.R. La contradiction contenue dans les deux dernières phrases extraites chacune d'échanges épistolaires et / ou de textes critiques, pourrait illustrer fort opportunément le sujet d'un film que la MA74 propose pour conclure le Festival du Film d'architecture en Novembre de l'année, intitulé Rule of Stone (la loi de la pierre), de Danae Elon réalisé en 2024, dans un contexte fort éloigné bien entendu. Un film multi primé, d'une qualité remarquable, contenant de nombreux extraits d'archives et d'entrevues, notamment avec le célèbre architecte israélien Moshe Safdie, urbaniste, professeur, théoricien et auteur israélo-américano-canadien. L'argument principal du film, c'est l'esprit du lieu, le Genius loci au curseur mouvant : L'esprit c'est la pierre traditionnelle locale qui se voit soudainement parée de qualités divines ; le lieu ce sont les territoires palestiniens revendiqués par les forces israéliennes en 1967 dans le projet colonialiste de Jérusalem-Est.
Pour l'architecte interrogé, il est normal que la pierre se maintienne, se multiplie, justifie les démolitions, revienne, remplace, habille en plaquettes amincies, s'impose dans les nouveaux territoires, donne la nouvelle couleur locale. A la fin du film la question est posée : quelle responsabilité pour l'architecte dans l'élaboration d'un discours idéologique, d'une histoire hégémonique, dans l'effacement du passé et l'exclusion graduelle de populations. ? Quelle prise de conscience ? La Maison de l'Architecture de haute Savoie ne proposera pas de débat à l'issue de ce film, mais est certaine que la réponse à la question posée rencontrera son époque dans d'autres contextes, notamment climatiques.
José VILLOT, Président de la MA74